Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
28 avril 2011 4 28 /04 /avril /2011 19:40

cigarette2.JPG

6 minutes 46 secondes. C'est le temps qu'il m'a fallu pour fumer ma cigarette.

Je sais, ce n'est pas bien de fumer, et je ne dis pas l'inverse. Je pense aussi que ne jamais fumer de cigarette, ce n'est pas bien. C'est une expérience comme une autre, dont l'acte unique ne nuit pas. Ce n'est pas comme tuer quelqu'un. Enfin je pense.

Je suis assise en tailleur sur mon canapé, j'ai commencé à boire une bière tout à l'heure, et il est temps de fumer. Ce moment, j'y réfléchis déjà depuis une demie-heure, j'attendais que l'épisode de ma série soit fini.

Je regarde mon paquet, convenablement détruit d'avoir été fourré dans une poche de jean à la dernière soirée, et avec deux doigts je prélève délicatement un exemplaire parmis la dizaine que contient la boite bleue. Je repose le paquet, et pour la première fois depuis longtemps le message inscrit dessus me frappe. C'est le message le plus bateau qu'il pouvait y avoir, "Fumer tue". Il me fait arrêter mon geste un dixième de seconde, et alors que je me saisis de mon briquet, je me dis que j'organise mon suicide en fumant cette cigarette. Si fumer tue, pourquoi est-ce que je fume, hormis pour vouloir me tuer?

J'ai choisi la musique que j'allais écouter, ne riez pas, c'est "En apesanteur" de Calogero, et je pousse le son à fond dans mon casque. Je sais déjà l'effet que va me procurer cette cigarette, et lorsqu'on le sait, on prépare l'instant. Je sais déjà à quoi je vais penser pendant ces 6 minutes et 46 secondes.

J'approche le briquet du bout de la cigarette que j'ai déposée entre mes lèvres, bien consciente que le goût de ce petit bout jaune ne me plaît pas. C'est sec, rapeux, et je me garde d'y approcher ma langue car cela me provoquerait un profond dégoût. Mon pouce roule sur la roue à cran du briquet violet vif, et une flamme naît au milieu des étincelles. C'est beau une flamme, c'est une danse sensuelle au rythme des courants d'air, c'est l'Amour aussi; ma cigarette vient frôler les courbes ondulantes et j'aspire l'air à travers la cigarette, on a l'impression que j'aspire le feu dans ce batonnet blanc.

Alors que les braises ornent comme une couronne l'extrémité du cylindre, j'éteint le briquet. La flamme disparaît, ne reste que des braises qui invariablement finiront par s'éteindre sous mes doigts.

J'aspire la fumée dans ma gorge, je la sens qui descend dans mes poumons, du carton rapeux et amer qui assèche ma bouche et la rend pâteuse. Puis je souffle en un long nuage la fumée qui reste.

J'ai 6 minutes et 46 secondes pour penser à quelque chose. Et je repense à ce que j'ai fait de ma vie, ce qui compte pour moi, ce qui est passé et ce qui reste. Je me revois au collège, en train d'écouter Calogero, au lycée puis en médecine. Finalement, les années de sage-femme, les stages, l'hôpital, ma ville. En quelques secondes j'ai retracé ma vie. Je n'ai pas pu y voir tous les instants, ni tous les gens qui les ont marqués, mais j'arrive assez vite à la conclusion : qu'est ce que j'ai gardé sur toutes ces années? Ni mes amis, ni mes convictions politiques, ni mes activités, ni mes plaisirs. Tout cela passe, puis s'efface, devenant des pages jaunies de ma vie que je feuillette quand l'humeur mélancolique me prend de pleurer sur ce que je passe ma vie à perdre.

Arrivée à la moitié de la cigarette, les choses se brouillent dans un léger flou; mes pensées sont claires, les choses aussi, mais le lien entre les deux perd de sa netteté. Je dis souvent que la tête me tourne, mais ce n'est pas tout à fait ça. J'ai l'impression que ma tête pèse vers l'avant, que mes yeux peuvent tout et rien voir à la fois, que mes oreilles entendent calogero mais ne l'entendent pas non plus. Les sensations du toucher sont décuplées, je n'ai jamais aussi bien senti le papier du filtre sur mes lèvres sensibilisées, ni la chaleur poudreuse dans mes poumons, ou la cigarette entre mes doigts.

Je regarde les braises lécher doucement le papier noirci et les volutes de fumée s'envoler. Je repense à 500 days of summer, à cette image où sur un dessin à l'encre tout le paysage s'efface autour de la silhouète.

Ma vie c'est ça. Un dessin au crayon gris où je suis la seule tâche d'encre. 

Peu à peu, mon coeur s'accélère, fumer me fait toujours ça. J'ai l'impression que lui aussi veut accélérer ma mort en disséminant les produits de la cigarette dans mon corps le plus vite possible. Je reprend une bouffée. De toute manière on meurt tous. Je n'ai pas envie de vivre trop longtemps.

Ca y est. Les braises font disparaître les lettres d'or de la marque de la cigarette. Puis s'éteignent.C'est beau une cigarette qui s'éteint. Vite, une photo !

  Et merde. J'ai renversé ma bière.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Patate y Patata
  • : Encore un blog sans grande prétention dont la principale inspiration est... ma vie ! Bonne lecture
  • Contact

Catégories